Le Premier ministre François Bayrou présentera dans quelques jours le plan pluriannuel de son gouvernement pour redresser les finances publiques. Avant cette échéance cruciale, nous avons examiné au Sénat le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2024.
Ce texte de loi confronte les prévisions initiales du gouvernement et leur exécution constatée. Il engage politiquement le Parlement sur l’approbation de la sincérité, de la transparence et de la performance de la dépense publique.
Lors de l’audition de la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin en commission des Finances, j’ai ainsi exprimé plusieurs critiques sur ce projet de loi.
Ce dernier présentait une architecture inquiétante. La Cour des comptes a en effet émis cinq réserves substantielles sur la certification, dénonçant des failles persistantes en matière de sincérité, d’exhaustivité et de régularité. Pire encore, les articles 7, 8 et 9 visent à réécrire rétroactivement les votes du Parlement sur les comptes 2021, 2022 et 2023, en procédant à des affectations patrimoniales a posteriori pour effacer les rejets. J’ai dès lors demandé à la ministre pourquoi son gouvernement avait recours à ces artifices.
J’ai par ailleurs remis en cause l’affirmation selon laquelle les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales seraient maintenus à un niveau stable. Dans le département du Val-d’Oise, on note au contraire une diminution marquée des crédits. Cette contraction budgétaire est particulièrement préoccupante dans la mesure où ces financements soutiennent en grande partie des projets d’investissement public, moteurs essentiels de l’activité économique locale.
J’ai également interrogé la ministre sur les conditions de mise en œuvre du dispositif DILICO (Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales). Ce mécanisme repose sur une logique injuste et injustifiée : il fait peser sur les budgets locaux une partie du redressement des finances publiques de l’État, alors même que les collectivités ne sont pas responsables de l’endettement national. J’ai donc demandé une évaluation rigoureuse de l’efficacité du DILICO et des enseignements susceptibles d’être tirés en vue de sa potentielle reconduction.
En réponse, la ministre a expliqué avoir pris très au sérieux les réserves de la Cour des comptes. Elle a affirmé avoir entamé un travail approfondi avec la Commission nationale des normes comptables publiques pour lever les doutes et résoudre les différends soulevés.
La ministre a ajouté qu’à sa connaissance, il n’y avait pas de blocage des crédits aux collectivités par Bercy, sauf en ce qui concerne les crédits mis en réserve (5,5% sur les dépenses non salariales et 0,5% sur la masse salariale), ce qui en soit n’est pas rien !
Puis, ces crédits sont délégués aux ministères, qui les répartissent ensuite.
La dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) de l’année dernière est quant à elle rabotée de près de 145 millions d’euros, somme qui sera réaffectée à la dotation globale de fonctionnement (DGF).
C’est une aberration à l’heure où les collectivités ont besoin de fonds pour financer leurs projets, notamment ceux liés, en ces heures marquées par la canicule, par des réhabilitations bâtimentaires afin de faire face aux changements climatiques !
Enfin, elle a expliqué que le DILICO a été notifié et prélevé dans les différentes communes, sans difficulté à sa connaissance….
L’engagement a été pris de rendre dans les 3 prochaines années les sommes prélevées aux collectivités. Nous notons tous, bien entendu, cet engagement.
Lors de l’examen du texte en séance publique, j’ai soulevé la question de la sincérité des prévisions budgétaires présentées au Parlement. Dès le mois de février, avec mes collègues du groupe CRCE-K, nous avions alerté sur le caractère irréaliste des hypothèses macroéconomiques retenues. Malgré ces mises en garde, le Gouvernement a fait le choix de maintenir ses prévisions, dans une logique de communication destinée à rassurer les institutions européennes.
J’ai aussi tenu à rappeler que la dégradation actuelle des finances publiques résulte directement des orientations fiscales décidées en 2017. Ces choix, qui ont entraîné un affaiblissement durable des ressources de l’État, se traduisent par un manque à gagner cumulé estimé à 310 milliards d’euros. Cette situation a des répercussions importantes sur les collectivités territoriales, une fois encore mises à contribution.
Ainsi, le bloc communal a été sommé de fournir un effort budgétaire non compensé de l’ordre de 8 milliards d’euros. Cet effort s’est notamment matérialisé par le gel de la dynamique de la fraction de TVA transférée, l’application du dispositif DILICO, la mise en œuvre des mesures du Ségur de la santé, la hausse des cotisations CNRACL et celle du point d’indice de la fonction publique.
J’ai également tenu à revenir sur les projections alarmistes diffusées à l’hiver dernier concernant un prétendu « dérapage » des finances locales, alors chiffré à 17 milliards d’euros. Ce montant a, depuis, été révisé à la baisse, et se situe désormais sous le seuil des 9 milliards. Cette réévaluation démontre que les anticipations initiales étaient manifestement exagérées, sans doute dans le but de justifier le transfert d’une part substantielle de l’effort de redressement sur les collectivités.
À la lumière de ces arguments, le Sénat, après l’Assemblée nationale, a donc très majoritairement rejeté le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2024, ainsi que celui des comptes de la Sécurité sociale.
Toutefois, l’exécutif persiste dans la mise en œuvre d’une politique économique austéritaire. Ainsi, le 26 juin 2025, lors du 2ème comité d’alerte des finances publiques à Bercy, le gouvernement a annoncé un nouveau gel de crédits de près de 5 milliards d’euros. Les agences et opérateurs de l’État participeront à l’effort national à hauteur de 3 milliards d’euros. Le secteur de la santé contribuera lui à hauteur de 1,7 milliard d’euros.
Le total des gels de crédits se porte déjà à 11,7 milliards d’euros depuis le début de l’année 2025.
Le projet de de loi de finances pour 2026 s’annonce d’ores et déjà comme l’un des plus contraints des dernières années. Avec un objectif affiché de 40 milliards d’euros d’économies pour redresser les comptes publics, le gouvernement s’enferme dans une logique austéritaire, au détriment de toute justice fiscale. En l’absence de rééquilibrage de l’effort entre les différentes catégories de contribuables, ce sont encore une fois les ménages et les collectivités qui seront sollicités de manière disproportionnée.
Dans ce contexte, l’absence de dépôt d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) interroge. Un tel texte aurait permis d’ajuster les prévisions budgétaires aux réalités économiques et d’instaurer un débat parlementaire transparent.
En lieu et place, le gouvernement refuse encore et toujours de reconnaître que l’assèchement des ressources de l’État nous a conduit dans cette impasse économique. Ces choix expliquent en grande partie le dérapage des finances publiques et la progression de la charge de la dette. Cette politique de la “caisse vide” justifie de mettre à contribution les Français et les collectivités locales. Les idées ne manquent pas : TVA sociale, année blanche pour les collectivités territoriales via le gel des concours financiers de l’État, réduction des crédits des ministères… Seule exception : la taxation des plus riches reste un tabou, alors que la France redevient une société d’héritiers.
Dans la perspective du prochain débat budgétaire, les trois groupes de gauche au Sénat entendent à nouveau coordonner leurs efforts pour défendre des propositions alternatives, et crédibles. Comme l’an dernier, cette démarche visera à faire entendre une autre voie, fondée sur la justice sociale, la défense du service public, le verdissement de l’action publique et le respect des collectivités.


