Le ministre de l’économie Bruno Le Maire a dévoilé le mercredi 24 avril son plan d’action sur la simplification de la vie des entreprises, avec son rapport « 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises » réalisé avec Olivia Grégoire, Ministre chargée des petites et moyennes entreprises. J’ai été nommé membre de la commission spéciale, au Sénat, en charge d’étudier ce texte.
Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, les travaux ont été interrompus, mais il semblait intéressant de revenir sur ce projet de simplification de la vie des entreprises et son impact sur les collectivités, ceci d’autant plus que le texte du gouvernement a été largement amendé, en commission et en séance publique.
Il aurait dû être soumis au vote des sénateurs le mardi 11 juin, mais ce vote a donc été reporté à une date ultérieure. Il sera ensuite soumis au vote de l’Assemblée Nationale.
Revenons ici sur l’origine de ce texte et sur quelques mesures annoncées qui impactent nos collectivités locales notamment les délais de paiement des collectivités et la protection assurantielle de celles-ci.
I. L’objectif : réinventer les rapports entre les entreprises et les territoires
Selon le Ministre de l’économie, ce rapport est d’abord une réponse à la crise agricole. C’est également selon lui une réplique à l’inefficacité des services publics : « Le ressenti d’avoir face à soi des interlocuteurs qui n’aident pas à résoudre les difficultés ne doit pas nous pousser à jeter l’opprobre sur les agents du service public ». On peut s’étonner du lien établi entre la nécessaire simplification des normes et le travail des agents public : ils sont tenus ici pour responsables des difficultés rencontrées par les entreprises et sont, en passant, déconsidérés. Les agents publics apprécieront.
Un chiffre est également annoncé : « 88% des français soutiennent l’annonce de la simplification des normes et la réduction des délais et procédures administratives des entreprises » et une grande enquête publique auprès des entreprises soutient cette donnée, précisant que les démarches administratives sont des freins pour les TPE notamment pour l’accès aux aides et aux subventions ou encore aux délais de paiement des administrations. Réinventer les rapports entre les services publics, les particuliers et les entreprises s’inscrit comme l’objectif premier de ce texte avec 15 mesures annoncées, dont certaines concernent directement les collectivités locales.
Nous allons revenir ici sur deux mesures, parmi tant d’autres, l’une annoncée à grand fracas et l’autre passée inaperçue.
II. La contribution forfaitaire des collectivités en cas de dépassement de délai de paiement : une mesure annoncée qui méconnaît le fonctionnement des collectivités locales
Le Code de la commande publique prévoit un délai global de paiement de 30 jours pour les collectivités locales et l’Etat et de 50 jours pour les établissements hospitaliers, sous peine de devoir verser des intérêts moratoires en cas de dépassement. Si le texte prônait la mise en œuvre d’une contribution forfaitaire en cas de dépassement des délais de paiement, cette mesure coercitive n’a pas été retenue à l’issue des débats. C’est un moindre mal.
L’Etat a-t-il bien conscience de l’état des finances des collectivités locales ? Peut-il comprendre que les collectivités locales vivent une période de contrainte intense ? Quelle collectivité ne se trouve pas en difficulté face au recrutement d’agents dans son service support qu’est celui des finances ?
Aujourd’hui, les collectivités peinent à recruter et l’attractivité est en berne. De plus, avec l’ensemble des logiciels de traitement des informations financières, les agents des services publics locaux doivent, au-delà de leurs compétences budgétaires, maîtriser les outils informatiques et les plateformes dématérialisées multiples. Ce qui, parfois, engendre un délai de paiement un peu plus long car les équipes sont réduites et qu’il faut former, reformer, et former encore : chaque jour est parfois un challenge et les chiffres doivent toujours se manipuler avec prudence. Donc oui, parfois, les délais de paiement sont un peu plus larges mais, contrairement à ce que peut laisser penser le gouvernement, ils ne sont pas en moyenne supérieurs aux 30 jours !
C’est méconnaître les collectivités que de laisser planer cette suspicion : les chiffres le démontrent d’eux-mêmes : seules 17% des communes dépassent ce délai, ce qui vient signifier que 83% de nos communes le respectent.
Cette mesure, bien éloignée d’un objectif de simplification, n’a donc pas reçu l’aval du Sénat, protecteur des communes. Cette mesure a donc été annoncée à grand fracas comme un outil révolutionnaire, puis supprimée car réellement inopérante.
Le gouvernement a tout de même mis en place une plateforme de « transparence » pour afficher les délais de paiement des communes de plus de 3 500 habitants :
https://data.economie.gouv.fr/explore/dataset/dgp_moyen_annuel_2023_sup_3500/table
Tout cela pour ça. A quand un site pour prendre cette fois connaissance des délais de paiement de l’Etat ? Etonnamment, les données ne sont pas encore accessibles sur ce sujet.
III. Le renforcement des droits des collectivités en matière d’indemnisation : le gouvernement obligé de s’aligner sur la question assurantielle au bénéfice des communes
Un amendement important a été adopté au Sénat en matière d’assurance pour les collectivités, contre l’avis du gouvernement. Dans le projet de loi de simplification, l’idée était d’aligner le droit des TPE (Très petites entreprises) et PME (petites et moyennes entreprises) sur les droits des particuliers, notamment en matière d’assurance, dans le cadre des dommages aux biens. Le Sénat a introduit ce bénéfice y compris pour les collectivités locales et leurs groupements. Un amendement a ainsi obligé les assureurs, en cas de résiliation d’office d’un contrat d’assurance avec une collectivité, d’adresser à cette même collectivité la notification de la résiliation « six mois au moins avant sa prise d’effet » afin de laisser à la collectivité le temps de passer un nouveau marché public d’assurance.
Revenons sur l’origine de l’avancée de ce texte pour nos collectivités : initialement, l’article 14 du projet de loi élargissait à tous les contrats d’assurance l’obligation pour l’assureur de motiver sa décision de résiliation unilatérale du contrat et encadrait les délais d’indemnisation des assurés.
La commission spéciale, dont je fais partie, a tout d’abord réduit considérablement le délai dont dispose l’assureur pour verser l’indemnisation en instaurant un mécanisme de sanction en cas de non-respect. Ella a également instauré un principe d’évaluation par le gouvernement de ce dispositif au plus tard deux ans à compter de son entrée en vigueur.
En séance publique, la partie de ce texte s’est enrichie par une extension, comme annoncé ci-dessus à 6 mois du préavis en cas de résiliation unilatérale par l’assureur d’une collectivité locale et la séance a permis aussi la création d’un pouvoir d’injonction sous contrainte exercé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution quand l’assureur ne respecte pas les délais imposés d’indemnisation.
C’est ainsi qu’à l’instar du gouvernement, ce texte aura permis, en première lecture au Sénat, une prise en considération des droits des collectivités en matière d’assurance des biens. A l’heure où les villes et villages rencontrent parfois d’importantes difficultés, il s’agit ici d’un souffle, qui pourra à l’avenir j’espère se conforter par un texte de plus grande envergure sur le sujet.
Conclusion : un texte « fourre-tout » sans cohérence et pourvoyeur d’insécurité juridique et de complexité législative
Chacun des sénateurs présents en commission spéciale et en séance a réalisé un travail considérable, prenant le temps de défendre l’abandon de mesures incohérentes et dangereuses (la simplification du bulletin de paye par exemple) et d’élargir certains dispositifs pour un introduire, malgré cela, un intérêt pour nos collectivités locales.
De manière générale, ce texte est toutefois apparu comme un catalogue « fourre-tout », un empilement de mesures sans lien avec la simplification de la vie des entreprises tant prônée et tant attendue.
Pire ce texte conduit à une inflation législative, à une insécurité juridique dans de nombreux domaines et à la remise en question de nombreuses lois dont la loi Climat & Résilience promulguée il y a peu.
Retrouvez ici mon intervention en séance qui reprend plus généralement les incohérences de ce texte :
Avec mes collègues sénateurs du groupe CRCE-K, nous ne voterons donc pas ce texte, qui fait fi d’un renforcement des moyens et des compétences nécessaires à une mise en œuvre juste et efficace, au-delà de quelques mesures effleurées qui mériteraient davantage de travail et de considération pour en donner du sens et être opérantes.
Une fois le vote solennel du texte au Sénat qui viendra conclure cette première lecture, à ce jour reporté, ce texte sera ensuite transmis à l’Assemblée Nationale. L’échéance du report n’est pas aujourd’hui connue.