Quel avenir pour les agences et les opérateurs de l’Etat ?

Depuis plusieurs semaines j’assure la présidence de la commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’Etat. En mai, les travaux se sont poursuivis par un cycle d’auditions de ministres membres de gouvernement, qu’ils soient actuellement en poste ou qu’ils l’aient été récemment. Force est de constater, hasard de calendrier ou opportunité liée à la commission d’enquête du Sénat, que les effets d’annonce dans la presse sont nombreux concernant l’avenir des agences et opérateurs de l’Etat, sous couvert d’économies budgétaires massives. Je vous propose ici un bref retour de certaines auditions de ce mois de Mai 2025.
1. Audition de Monsieur le Ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, Monsieur Laurent Marcangeli

Ce mois de mai a donc débuté par l’audition du ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification Monsieur Laurent Marcangeli. Nous avons souhaité l’entendre sur le thème de la « simplification ». Ce thème revient en effet dans toutes les auditions à travers l’évocation de la complexité du paysage des opérateurs et de leur organisation administrative. Ceci crée une incompréhension et de la méfiance chez les citoyens, voire des élus eux-mêmes, qui comprennent difficilement l’emploi de l’argent public à cet endroit. Nous avons pu constater ces effets lors de nos déplacements en Val d’Oise et dans le Loiret.

Or, hasard de calendrier (ou pas…), le premier ministre François Bayrou a lancé le 21 février avec Monsieur Laurent Marcangeli et Madame Amélie de Montchalin un processus de revue des missions des ministères et de leurs opérateurs. Il s’agissait de recenser les missions et de soumettre avant mi-avril 2025 un « projet de simplification et d’efficience ».

Aussi, j’ai demandé à Monsieur le ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification de nous préciser les objectifs de son ministère et de nous indiquer quelles étaient leurs conclusions à ce stade. Tout ceci dans un contexte très spécifique pour la commission d’enquête, puisque Madame Amélie de Montchalin avait annoncé la semaine précédente dans la presse son objectif choc de 2 à 3 milliards d’économies au prochain budget sur les agences et opérateurs de l’Etat.

Lors de son audition, Monsieur Laurent Marcangeli a donc détaillé sa méthode pour rationaliser le paysage des opérateurs publics. Il a toutefois refusé de s’engager sur des économies chiffrées, contrairement à la ministre des Comptes publics, soulignant qu’« Il ne serait pas responsable de fixer une cible comptable avant d’avoir stabilisé le diagnostic ».

Il a développé sa méthodologie pour atteindre son objectif. Celle-ci est basée sur un classement de ces opérateurs en trois catégories :

1. Les opérateurs performants, apportant une valeur ajoutée claire à la mise en œuvre des politiques publiques.

2. Les opérateurs redondants, dont les compétences peuvent se recouper, et qui pourraient faire l’objet de fusions ou de mutualisations.

3. Les opérateurs créés par externalisation, afin de contourner certaines rigidités administratives, mais dont l’existence interroge en termes de pilotage politique et de soutenabilité.

Ce travail, conduit par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et décliné en plans ministériels soumis à arbitrage du Premier ministre, devrait aboutir d’ici la mi-juin.

Le Ministre a toutefois profité de son audition pour annoncer une mesure précise : la fusion des cinq Instituts régionaux d’administration (IRA) en une structure unique. Ce serait selon lui le « point de départ » d’un processus plus large de rationalisation. Il s’est également déclaré favorable à l’introduction d’une clause d’extinction automatique pour les comités consultatifs nouvellement créés. Il a cependant exclu l’adoption d’une telle disposition pour les opérateurs assurant une mission pérenne. 

2. Audition de Madame la Ministre chargée des comptes publics, Madame Amélie de Montchalin

Le 15 mai, nous avons poursuivi le cycle des auditions de ministres avec celle de Madame la ministre Amélie de Montchalin. Cette audition était particulièrement attendue : la Ministre des Comptes publics avait affirmé dans la presse un objectif gouvernemental de 2 à 3 milliards d’économies sur les dépenses des agences et opérateurs publics et la suppression d’un tiers d’entre eux d’ici fin 2025 ! Elle avait précisé qu’elle détaillerait son plan lors de son audition devant la commission d’enquête au Sénat. Au lendemain de son annonce dans la Presse, avec Madame Lavarde, rapporteur de la commission d’enquête, nous avons demandé à la Ministre des précisions sur la manière dont elle arrivait à ses chiffres, mais force fut de constater que les documents remis étaient très généraux voire même confus : ils ne permettaient pas de déterminer la réalité des économies proposées et donnaient peu d’indications sur le choix des agences qui seraient supprimées, et sur quels critères.

Nous avons donc profité de cette audition pour mieux comprendre cette ambition. J’ai ainsi pu poser à Madame la Ministre les questions suivantes : pourquoi vouloir supprimer un tiers des agences – et pas un quart ou la moitié ? Comment arrivez-vous à ce montant d’économies ? S’agit-t-il de supprimer des missions de politiques publiques que les agences exercent, et, dans ce cas, lesquelles ? Ou pensez-vous que des fusions d’agences ou de services permettent de réaliser des économies d’échelle se chiffrant en milliards d’euros ?

J’ai également interrogé Madame la Ministre sur mon incompréhension quant aux annonces effectuées dans la presse : « Monsieur Marcangeli, votre collègue Ministre que nous avons reçu la semaine dernière, nous a indiqué, je cite : « Je ne veux pas que l’on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable ». Une question se pose : l’approche serait-elle différente entre vos deux ministères ? »

En réponse, Madame Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, a réaffirmé l’objectif gouvernemental de réaliser 2 à 3 milliards d’euros d’économies sur les dépenses des opérateurs publics. Elle a néanmoins nuancé ses annonces chocs, les économies n’étant pas attendues avant 2026 ou 2027. Dans le détail, elle a indiqué que l’effort portera sur les deux prochains exercices budgétaires. La hausse des dépenses sera limitée à 2 % par an, en cohérence avec la stratégie de maîtrise globale des finances publiques.

Sa méthode, qui est apparue différente de celle présentée par Monsieur le ministre Laurent Marcangeli, repose sur 5 leviers : 

1. Optimisation des coûts de fonctionnement internes (réduction des frais de structure, mutualisation des fonctions support).

2. Rapprochements et fusions d’agences redondantes ou aux missions convergentes.

3. Ré-internalisation de certaines missions initialement externalisées pour contourner les rigidités de l’administration.

4. Extinction de structures devenues obsolètes, telles que l’Institut national de la consommation.

5. Renforcement du pilotage budgétaire, via une revue des engagements financiers, des indicateurs de performance et une responsabilisation accrue des tutelles.

Elle a précisé le calendrier d’application de ce plan, identique au Ministre Laurent Marcangeli : chaque ministère est tenu de produire un plan de transformation de ses agences, avec un cadrage donné par la Direction du Budget et la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Ces plans sont attendus d’ici à mi-juin 2025. Ils feront ensuite l’objet d’un arbitrage interministériel. Le Premier ministre précisera le sort qui sera réservé aux agences et opérateurs lors de la présentation de son plan, prévue au cours du mois de juillet. 

3. Auditions de Messieurs Eric Woerth et Boris Ravignon

J’ai poursuivi ce mois de Mai 2025 avec les auditions de Messieurs Eric Woerth et Boris Ravignon, auteurs respectivement de rapports sur la décentralisation et le coût du « millefeuille administratif ».

Il s’agissait d’échanger sur l’articulation des enjeux liés à la réforme des agences de l’État avec ceux plus larges de l’organisation territoriale et du pilotage des politiques publiques. Cette audition, très opérationnelle, a permis de déboucher sur plusieurs recommandations : renforcer la transparence budgétaire, réintroduire un pilotage stratégique interministériel, déconcentrer les crédits sous autorité préfectorale en limitant les appels à projets non coordonnés, encadrer les créations de nouvelles structures… 

4. Audition de Madame la Directrice de l’Agence Bio, Madame Laure Verdeau

Nous avons enfin auditionné l’Agence bio le 22 mai, dans un contexte très particulier.  Le Ministère de l’agriculture avait annoncé le mardi 20 mai la suppression de 5 millions d’euros dévolus à la communication de l’agence et la suppression de 10 millions d’euros alloués également à l’agence pour le soutien des projets pour l’année 2025. Cette annonce est intervenue alors que la Cour des comptes, dans son rapport publié en 2022 sur « le soutien à l’agriculture bio » soulignait que l’Agence Bio ne disposait pas de moyens suffisants au regard de ses missions, notamment en matière de communication. J’ai posé à sa directrice la question suivante : « Avez-vous été associée au préalable à ces éventuelles décisions et quelles seront les conséquences concrètes sur votre activité ? »

Madame Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, a alerté sur la situation financière critique de l’agence. Selon la directrice, l’agence dispose désormais d’une trésorerie qui ne lui permet pas de tenir plus d’un an. À titre de comparaison, une agence équivalente au Danemark a un budget de fonctionnement de 12 millions d’euros. L’Agence bio a un budget réduit, dans un pays comptant dix fois plus d’habitants. 

Conclusion de ce mois d’auditions de la Commission d’Enquête

Une vraie question demeure face à toutes ces annonces : quels sont les vrais objectifs du gouvernement ?  S’agit-il vraiment de rationaliser le service public et de le rendre plus efficace ? Ou s’agit-il de supprimer des politiques publiques ? Et si oui, lesquelles ?

Malgré ces annonces, nous avons poursuivi notre travail afin de rendre un rapport de cette commission d’enquête le plus complet possible. Le mois de juin sera consacré à la rédaction de ce dernier. Je déposerai également une contribution personnelle, au nom de mon groupe parlementaire. 

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