La Cour des comptes, les collectivités locales et… leurs agents.
En application de l’article L.132-8 du code des juridictions financières, la Cour établit chaque année un rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et leurs groupements. Ce rapport est remis au Gouvernement et au Parlement. Le deuxième fascicule de ce rapport, qui s’intitule « Les perspectives des finances publiques locales en 2024 et la participation des collectivités au redressement des finances publiques » vient de sortir.
Je vous propose ici un retour sur ma lecture de ce rapport. Quelles propositions la Cour des comptes avance-t-elle face à la dégradation des finances des collectivités locales ? Quelle ambition pour le gouvernement ? Que va-t-il faire de ces préconisations ? Qu’en sera-t-il pour les agents publics ?
1. Les collectivités locales responsables du déficit public ?
La cour des comptes indique qu’en 2023, les dépenses de fonctionnement des collectivités ont augmenté de 6,1% à périmètre constant. Sur les huit premiers mois de l’année 2024 (de janvier à août 2024), les dépenses de fonctionnement ont crû de 5,4% et les dépenses d’achats et de biens de plus de 11%, en raison de l’inflation. Ce sont bien, en effet, les chiffres que nous constatons dans nos communes et qui mettent à mal notre résultat budgétaire 2024 !
Rappelons que cette perspective budgétaire ne date pas d’hier. Nous nous étions émus, nous, élus locaux, il y a quelques mois, des propos de Monsieur Thomas Cazenave alors ministre délégué, chargé des comptes publics, qui clamait que les « collectivités locales étaient en bonne santé financière » et que les élus locaux étaient injustement alarmistes.
Voici pour rappel quelques éléments de son discours prononcé au Sénat le 21 novembre 2023 : « La situation financière des collectivités était globalement satisfaisante (en 2022) ; leur épargne brute s’élevait à 43 milliards d’euros, soit 9 milliards d’euros de plus qu’en 2017. Leur endettement est faible et leurs capacités de remboursement s’améliorent. Et le nombre de communes en difficulté a baissé de 23% entre 2019 et 2022. Je dois le dire, je suis souvent surpris de l’écart entre cette situation, objective, et les propos très alarmistes et sans nuance que j’entends parfois sur les finances locales […] Pour l’avenir, notre trajectoire de finances publiques trace un chemin qui est celui de la baisse progressive du déficit public. L’objectif est de retrouver collectivement un déficit inférieur à 3% du produit intérieur brut d’ici à 2027, comme nous avions réussi à le faire avant la crise du covid-19 ».
De notre fenêtre d’élus locaux, attachés aux prospectives financières, nous étions tous conscients et assurés que cette situation financière apaisée n’était pas le reflet de notre réalité, tant le Covid-19 avait masqué celle-ci. Nos prospectives financières mettaient en exergue de réelles difficultés à boucler un budget dès 2025, par un effondrement des épargnes brutes et nettes des collectivités.
Pourquoi ?
Rappelons que cette hausse des dépenses de fonctionnement, si elle est liée en partie à l’inflation, est aussi liée à l’évolution de la masse salariale, dont les élus locaux ne sont aucunement responsables.
La cour des comptes le souligne tout à fait justement dans son rapport : « Les dépenses de personnel augmentent pour trois raisons : l’effet en année pleine des mesures indiciaires au 1er juillet 2023 (notamment la hausse de 1,5%, après 3,5% au 1er juillet 2022), l’attribution de cinq points d’indice à tous les agents au 1er janvier 2024 et l’évolution continue de la composition des effectifs dans le sens d’une rémunération moyenne plus élevée. De janvier à août 2024, les dépenses de personnel ont progressé de 5,8% par rapport à la même période de l’année 2023 ». A aucun moment il n’est spécifié que les collectivités locales ont, d’elles-mêmes, augmenté leur masse salariale d’une année sur l’autre. La Cour des comptes note cependant que la rémunération moyenne est plus élevée.
Deux remarques à ce titre que le rapport omet de préciser : dans nos collectivités locales, la plupart des agents de catégorie C sont recrutés avec un salaire proche du SMIC. C’est la base de la grille fixée par l’Etat. Aussi, l’évolution des points d’indice a juste permis que le salaire de la fonction publique ne soit pas inférieur au SMIC, ce qui en effet aurait été une aberration. Il est aujourd’hui, à l’heure de ces quelques lignes, d’environ 40 € brut/mois supérieur au SMIC pour un agent de catégorie C qui entre dans la fonction publique territoriale.
Face à cette situation, comment recruter des agents à ce salaire, qui plus est sur des missions d’accueil du public en ces temps difficiles ? Comment les fidéliser ? Si ce n’est en augmentant légèrement leur salaire grâce à la part d’indemnité que les collectivités peuvent allouer et ce afin qu’ils ne désertent pas leurs services pour aller travailler dans le privé ? [Ce qui créé des disparités d’attractivité selon que la collectivité ait plus de moyens qu’une autre pour abonder cette part… mais c’est ici un autre débat que nous pourrons ouvrir aussi prochainement].
Voilà la réalité de cette évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités.
Quant à l’évolution des dépenses d’investissement, elle est tout simplement mécanique, et elle était attendue. En milieu de mandat politique, les dépenses d’investissement croissent. C’est le principe même de la gestion communale. Des élus sont choisis par les habitants pour mettre en œuvre un projet politique, qui comporte des investissements pour le bien-être des habitants. En début de mandat, des études techniques sont menées pour élaborer ces projets, et en milieu de mandat, les travaux démarrent, pour se clore souvent à l’issue des six années de mandat. Les factures à payer suivent donc le même cheminement.
Dire, pour terminer, que les collectivités sont responsables du déficit public, alors qu’elles étaient les meilleurs gestionnaires du monde il y a tout juste un an, est un vrai scandale ! Rappelons ici que les collectivités sont soumises à l’obligation d’un budget sincère, équilibré, sans déficit. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Elles ne peuvent donc vivre au-delà de leurs moyens, sinon elles s’écroulent. Ce pourquoi les élus alertent depuis plusieurs mois, voire années, sur les prospectives inquiétantes établies à 2026, compte tenu de l’évolution des dépenses et de la baisse des recettes perceptibles et annoncées dans toutes les analyses macroéconomiques.
Ce n’est donc une surprise pour personne et tenir les collectivités pour responsables de ce déficit est intellectuellement et humainement scandaleux.
2. Le mécanisme de contribution des collectivités au redressement des finances publiques vu par la Cour des comptes
A travers des économies réalisées sur les dépenses :
Trois postes de dépenses des collectivités sont ciblés pour diminuer la dépense publique : les dépenses de personnel, les dépenses d’achats de biens et de services et les dépenses d’investissement (surtout celles qui ne sont pas liées à la transition écologique). Arrêtons-nous un instant sur quelques « optimisations » préconisées :
- Revenir à une masse salariale équivalente à celle de 2010 pour les communes :
Nous avons fait l’exercice sur la commune de Fosses, au sein de laquelle je suis conseiller municipal. A Fosses, il y a 15 ans, l’effectif était de 143 agents (4 catégories A, 17 catégories B et 122 catégories C). L’effectif est aujourd’hui équivalent à 124 agents permanents (8 catégories A, 13 catégories B et 103 catégories C) et à cela s’ajoutent désormais 49 agents non permanents, de catégorie C pour la grande majorité, soient des contractuels, dont 17 sont des saisonniers (donc présents parfois lors des vacances scolaires afin de faire fonctionner les accueils de loisirs), et 32 sont des emplois non permanents à temps non complet, soient des intervenants ponctuels afin d’effectuer principalement des missions d’encadrement des enfants lors des temps de cantine sur le temps scolaire.
Voilà une réalité locale parmi d’autres, qui démontre que revenir à 2010, c’est supprimer des services essentiels pour les familles comme la cantine scolaire ou encore mettre fin aux loisirs municipaux, qui garantissent l’accès égal à la culture, comme ici l’école de musique et de danse municipale.
Est-ce cela l’ambition gouvernementale ?
- Réduire l’absentéisme dans la fonction publique :
Là encore, plus c’est gros, plus ça passe. Depuis plusieurs semaines, une petite musique s’installe, portée entre autres par Monsieur Patrick MARTIN, président du MEDEF, comme par exemple mardi 24 septembre 2024, sur les ondes radio de France info : il est urgent d’agir face à l’absentéisme des fonctionnaires plutôt que de toucher aux recettes des entreprises pour réduire le déficit public de la France, « car l’absentéisme est deux fois supérieur dans la fonction publique que dans le privé ».
Il est temps de retourner sur les bancs de l’école.
Selon l’Inspection générale de l’action sociale, dans sa Revue de dépenses relative à la réduction des absences dans la fonction publique publiée le 5 septembre 2024, « Les absences pour raisons de santé ont connu une hausse généralisée, dans la fonction publique et le secteur privé, à partir de 2020. Après une période 2014 – 2019 au cours de laquelle ces absences se situaient à des niveaux comparables dans les deux champs public et privé (environ 8 jours par an), elles s’élèvent en 2022 à 14,5 jours par agent dans la fonction publique et à 11,7 jours dans le secteur privé par salarié ». Ce chiffre révèle sans aucun doute un vrai problème de société qui a de quoi nous inquiéter sur les conditions de travail de l’ensemble des salariés, qu’ils soient issus du privé ou agents de la fonction publique. Néanmoins, et jusqu’à preuve du contraire : 14,5*2 n’est pas égal à 11,7. C’est un fait.
On attend donc avec inquiétude les mesures qui seront proposées par le gouvernement sur ce sujet et qui seront basées sur une analyse mensongère de la situation globale.
- Orienter les dépenses d’investissements pour participer à la transition écologique
La Cour des comptes préconise à l’Etat de « regrouper les dotations à l’investissement et les orienter prioritairement vers les investissements « verts » de la transition écologique ». A l’heure où l’Etat annonce diminuer drastiquement l’enveloppe « fonds verts » pour les collectivités en 2025, il y a lieu de s’interroger. Pour rappel, en 2024, plus de 5 milliards d’euros ont été sollicités par les collectivités à travers ce fameux fonds vert, alors que l’enveloppe atteignait 2,5 milliards. L’enveloppe de 2025 est prévue à 1 milliard, bien inférieure aux besoins. Il n’en faut pas moins ici pour démontrer la volonté des élus locaux de contribuer à la transition écologique. Mais, au regard de l’ampleur des travaux à réaliser, les collectivités locales ne peuvent financer seules cette ambition. Orienter les dépenses d’investissement, oui… mais encore faut-il pouvoir dépenser.
D’autres mesures complètent ce tableau comme faire contribuer les employeurs territoriaux « au retour à l’équilibre financier de la CNRACL, à hauteur de la part du déficit du régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qui leur incombe ».
A travers une diminution des recettes :
- Conclure avec certaines collectivités des contrats de maîtrise des dépenses de fonctionnement. Il s’agirait de communes « dépassant une certaine taille », mais celle-ci n’est pas précisée dans le rapport ;
- Réduire les recettes des collectivités par : la diminution du FCTVA, la fin de l’indexation des valeurs locatives cadastrales des taxes foncières sur l’inflation constatée depuis 2008, la réduction des montants des concours anciens et figés de l’Etat aux collectivités, la transformation des critères de transferts financiers de toutes natures entre l’Etat et les collectivités et entre collectivités et une rationalisation des concours de l’Etat à l’investissement local (comme déjà précisé dans la partie dépenses), la réduction de la compensation de la TVA et une révision de l’affectation de la part dynamique de la TVA.
Conclusion :
Tels sont les éléments du rapport de la Cour des comptes qui devraient donc servir de base aux prochaines annonces gouvernementales.
Pendant ce temps, dans les collectivités, la colère et l’indignation montent. Les agents territoriaux, en première ligne, sont jugés irresponsables (car trop dépensiers), fainéants (où sont donc les 35 heures ? Là encore, rappelons que les 1607 heures ont été votées dans la plupart des collectivités lorsque la loi les y a obligé, et, souvent sans aucune compensation financière pour les agents notamment dans les communes rurales).
Et la nouveauté de cette fin d’année : à partir du 1er novembre 2024 (comme ce fut le cas déjà en 2022 et 2023), les agents territoriaux seront payés moins que le SMIC pour démarrer leur carrière. Le salaire brut aujourd’hui pour un agent de catégorie C à l’échelon 1 (début de carrière) est de 1 801,74 € bruts. Le SMIC s’élève à 1 766,92 € bruts. La revalorisation du SMIC annoncée au 1er novembre 2024 engendre un SMIC équivalent à 1 801,80 € bruts. Sauf qu’à la différence des années passées, aucune revalorisation n’est annoncée.
Fallait-il dénigrer à ce point les collectivités territoriales pour faire passer à nouveau la pilule ?
Et si le gouvernement met en place toutes ces mesures : que restera-t-il de notre service public ?