Quelques semaines après avoir promis une « simplification » de la vie des Français, le gouvernement a annoncé le 23 avril 2024, dans un rapport intitulé : « DEBUREAUCRATISER », l’arrivée imminente de l’intelligence artificielle prénommée « Albert » au cœur des services publics.
Des premières mesures d’allégement des contraintes administratives ont été dévoilées ainsi que le déploiement de cette « intelligence artificielle souveraine » pour faciliter les démarches des usagers.
Albert s’est donc invité dans les conversations des agents de nos services publics locaux. Non, il ne s’agit pas d’un nouvel agent mais bien d’un « outil d’intelligence artificielle générative qui propose des réponses adaptées à la situation de chaque usager, avec des sources issues de la documentation administrative et des fiches pratiques issues de servicepublic.fr ». Notons simplement au passage que cette intelligence aurait eu bon ton de s’appeler « Alberte ». Mais ceci relève d’un autre débat.
Mais dans quel but ? Pour quoi faire ?
Le secteur privé, jusqu’à présent, avait le monopole de l’intelligence artificielle et l’utilisait pour de nombreux outils du quotidien, comme la reconnaissance faciale de nos téléphones. Pour les services publics, l’ambition semble simple et fédératrice pour l’Etat : « des services plus proches, plus simples, plus humains », à travers 18 engagements présentés au 8ème comité interministériel de la transformation publique.
Que signifier « débureaucratiser » ?
Arrêtons-nous un instant sur le choix des mots.
Débureaucratiser, c’est ne plus avoir recours à la bureaucratie. Ce terme, employé en France dès le XVIIIème siècle, a une connotation déjà négative : beaucoup y voient un risque politique majeur par la « constitution des bureaux en pouvoir politique autonome ». Il faudra attendre Hegel en 1821 pour que la bureaucratie soit vue plus favorablement, comme une organisation rationnelle du pouvoir de l’Etat, nécessaire pour garantir la neutralité et le désintéressement des fonctionnaires. La bureaucratie incarne alors l’Etat de droit. Malgré cette évolution, le sens péjoratif sera celui retenu par le sens commun : entre fainéantise et servitude politique, indifférence et paperasse, la bureaucratie gardera son image négative. La débureaucratisation, c’est donc l’inverse de cette image dégradée de l’Administration française. Pour le gouvernement, cela signifie : réhumaniser, garantir la qualité et un accès facile au service public, construire des solutions adaptées, faire confiance aux agents. Mais qu’en est-il vraiment ?
La promesse d’Albert : réhumaniser le service public
« Réhumaniser le service public », c’est la première priorité (sur les 3 identifiées dans ce rapport) du gouvernement Macron. Réhumaniser, pour nous élus locaux, c’est mettre davantage d’humains dans nos services, car, avec les ressources contraintes de nos collectivités, nous avons de moins en moins de moyens et d’agents pour garantir un service public des plus efficace. Mais, pour le gouvernement Macron « Réhumaniser le service public », c’est, je cite : « s’appuyer sur l’IA pour permettre aux agents de répondre plus rapidement et plus efficacement aux demandes des usagers, en ligne et aux guichets » et également « Doter les agents d’une intelligence artificielle conversationnelle ». Plus précisément, en page 19 du rapport, on nous explique que la gendarmerie sera dotée d’une interface web permettant « au militaire de retranscrire la question de l’usager et d’y répondre rapidement et efficacement grâce à une analyse des données issues de multiples sources ». De même, l’intelligence artificielle conversationnelle permettra pour tous les services « la rédaction de mails, la structuration de notes, la correction de texte ou encore la génération d’idées ». In fine, la réhumanisation du service public, pour le gouvernement, c’est une intelligence artificielle au service du public, qui appauvrit la culture de l’agent public et qui met fin à la relation humaine, spontanée, riche de l’échange, entre un agent public et l’usager. Drôle de définition de la réhumanisation et en termes managérial, cette considération de l’agent public n’est absolument pas celle que nous prônons, nous, élus locaux.
Sécuriser, alléger et simplifier la vie des français, vraiment ?
En France, nous avons déjà un système qui utilise en partie cette intelligence artificielle : Parcours Sup. Cela se passe donc de commentaires. Si nous constatons que ces systèmes sont amenés, qu’on le veuille ou non, à envahir la sphère publique, la question est surtout celle de savoir comment et pour quelle ambition on accepte de l’utiliser et comment on peut garantir l’équité des citoyens face à cette intelligence artificielle. Les citoyens doivent avoir accès à la transparence des algorithmes et vérifier que ces algorithmes ne sont pas discriminants. Mais, à ce sujet rien n’est dit dans ce rapport. Par contre, on notera que pour « débureaucratiser », l’Etat envisage de « Bureaucratiser » en créant un « guichet simplification pour résoudre les situations administratives complexes remontées du terrain » ! Oui, oui. Il s’agit de l’engagement n°9 de ce rapport. Voilà, Bureaucratiser pour Débureaucratiser. Cela laisse perplexe sur les ambitions du gouvernement et sur sa capacité à croire en un dispositif qu’il s’apprête à mettre en œuvre. Pas de quoi nous rassurer donc.
C’est donc avec force, intérêt et détermination que je veillerai à la mise en œuvre d’une simplification adaptée à nos services publics, qui valorise l’agent public et qui ne le considère pas comme un agent démuni d’« efficacité opérationnelle »*.
*en référence à l’engagement n°11 qui crée une école de l’excellence administrative, avec 200 agents formés d’ici 2025 sur un « programme de formation à l’efficacité opérationnelle » (p33 du rapport).